Commençons le tour d’horizon des techniques de scénarios par le bac à sable, avec en particulier Oltréé!, le dernier né med-fan de chez John Doe écrit par John Grümph.

J’ai écrit mon article initial sur l’état des techniques scénaristiques dans le JDR il y a maintenant 6 mois. Je me suis lamenté du manque d’innovations des techniques scénaristiques, mais force a été de reconnaître que depuis quelques années, les choses progressent. Parlons aujourd’hui du bac à sable participatif de Oltréé!.

Mais qu’est-ce que le bac à sable ?

Aussi appelé sandbox, cette façon de concevoir les aventures est quasiment aussi vieille que le JDR. Cela consiste à décrire une région, une ville, une zone relativement délimitée et de laisser les joueurs vaquer à leurs occupations et leurs envies dans cette zone. Cela suppose un gros travail de préparation de la zone par le MJ: il faut la définir, la peupler de factions, de lieux intéressants, de monstres, d’endroits à visiter et autres trésors ou récompenses. Ensuite, si jamais les joueurs ne sont pas suffisamment proactifs, le MJ doit prendre une charge de travail supplémentaire pour faire monter la mayonnaise en inventant pistes et scénarios.

Mais dans Oltréé!, toute une série de techniques soulagent le MJ de ce travail fastidieux. Elles vont de l’ultra classique (des tables aléatoires) jusqu’aux plus innovantes1 (les cartes d’exploration). Passons les en revue.

La carte

La définition géographique de la zone reste pareille qu’avant: on prend une feuille de papier à hexagone et on délimite des côtes, des montagnes, des plaines, des forêts, etc. Là, rien de bien neuf. C’est ensuite que vous allez peupler votre région avec des villes, des communautés, des ruines diverses, etc. Pour ce faire, des tables aléatoires très inspirantes vont vous aider à le faire. Vous pouvez soit prendre le tirage tel quel, soit vous en inspirez sans contrainte.

Les factions

Les factions en particulier, ont une petite touche sympa avec les chroniques. Pour chaque faction majeure, vous décrivez en 8 étapes son évolution. Cela permet donc d’avoir une bonne idée de ce que la faction veut obtenir et comment elle compte le réaliser et donc de pouvoir facilement improviser ses réactions lorsque les joueurs, par choix ou par hasard, vont venir chambouler leurs plans.

Ruines et autres donjons

Pour ce qui est des ruines et autres donjons, quelques tableaux dans les règles mais surtout les cartes d’exploration vont vous aider à les définir. Ces cartes peuvent être lues dans les 2 sens, le sens normal servant lors des patrouilles et des rencontres dans les hexagones (voir à ce sujet plus bas) et lues à l’envers, un petit tableau sert lors de la définition des ruines. Le nombre de cartes que vous allez tirer va déterminer la taille des ruines (au sens large donc ruines en tant que telles, mais aussi donjons, grottes, vieux mausolées perdus, etc.) et un jet de d8 sur la carte va vous donner des idées et des pistes comme ‘un piège vicieux’, ou ‘une route coupée’ ou encore ‘des morts-vivants’. Ainsi, avec quelques tirages vous aurez une dizaine de ‘pièces’ (zones) et des tas d’idées pour les remplir (lieux, rencontres, …) Vous utilisez ces cartes pour décrire les ruines les plus importantes de la région en amont, mais avec un peu de pratique, vous devriez pouvoir improviser un donjon en plein milieu de la partie en 10 minutes, pendant une pause clope par exemple.

Maintenant, avec tout ça, les joueurs auront déjà de longues soirées de jeux en perspective rien qu’à explorer la carte et ses divers endroits. Quelques soirées de préparation et vous aurez de quoi faire pendant des mois et vous pouvez quasiment arriver les mains en poches.

Les cartes

Mais là où Oltréé! va plus loin, c’est avec les cartes qui sont fournies. Il en existe de trois types: les cartes de patrouille, les cartes d’exaltation et les cartes de persécution. Les cartes d’exaltation permettent en les jouant d’avoir toutes sortes de bonus. Ces bonus peuvent être extrêmement génériques (action supplémentaire en combat, relancer un jet de dés, annuler une attaque adverse, …), ou très spécifiques à un certain type de personnage dépendant de sa race, ses vocations, sa motivation (trouver plus de trésors dans les ruines, obtenir des rabais importants lors d’un négoce, annuler un sort de magie lancé sur vous, …) Viennent ensuite les cartes de persécution. Ces cartes vont entrainer des complications. Par exemple, un mécanisme se déclenche/se coince alors que vous interagissez avec lui. Ou bien lorsque vous parlementez ou discutez avec quelqu’un vous fâchez votre interlocuteur. Ou encore vous attirez l’attention en faisant du bruit alors que vous devez être discret. L’idée de génie est que premièrement ce sont les joueurs eux-mêmes qui décident de quand jouer une telle carte (parmi celles qu’il a en main) et surtout, lorsqu’on joue une de ces cartes, on récupère deux cartes d’exaltation: une pour soi et une qu’on donne à un joueur de son choix. Du coup, les emmerdes vont pleuvoir mais ils vont pouvoir être héroïques en contrepartie. Et comme ils choisissent les cartes qu’ils gardent et qu’ils donnent, ils peuvent les distribuer de la façon la plus appropriée selon leur race, vocations et motivations. Enfin, le joueur a la possibilité de reprendre une carte de persécution, ce qui en fait une belle mécanique de mouvement perpétuel.

Les cartes de patrouille, enfin, sont utilisées lorsque les PJs explorent les hexagones. Ils tirent jusqu’à 6 cartes de patrouille par hexagone (résolues une à la fois). Ces cartes contiennent une liste d’événements dont le joueur va s’inspirer afin de décrire lui même les prémisses de la rencontre. Celle-ci sera jugée sur sa dangerosité à l’aide d’un jet de dé. Une partie de ces cartes sont de simple ‘Rien à signaler’. Mais vous avez aussi bien des détours (‘une averse désagréable’, ‘un tintement métallique’), des découvertes (‘un puit’, ‘un bâtiment incendié’) que des rencontres (‘une ombre dans le ciel’, ‘des pillards’). Avec ces éléments (les pistes et la dangerosité) le joueur va narrer le début de la rencontre (sa mise en place juste avant le “que faites-vous ?”) et la laisser ensuite aux mains du MJ pour qu’il l’anime et se la réapproprie. Les parties vont donc être pleines de surprises aussi bien pour les joueurs que le MJ qui devra improviser à partir des idées de ses joueurs (tout en remettant dans ces péripéties des pistes pour ces propres scénars et autres fils rouges de son sandbox).

Il existe plein d’autres subtilités dans les règles pour amener du jeu comme le font les cartes de patrouille (la gestion des points de ressources par exemple), mais les pistes que j’ai données dans cet article ont déjà un énorme potentiel.

L’essentiel des idées présentées ici vont toutes vers un même but: laisser les joueurs se faire porter par leurs impros et par la fiction pour générer du jeu sans devoir préparer un scénario au sens classique du terme. Mais le mieux, c’est que les 2 optiques sont évidemment totalement compatibles et interchangeables. Vous avez déniché un chouette scénar dans un vieux Casus? Pas de soucis, vous le jouerez tel quel en l’intégrant dans votre campagne. Les cartes vont vous aider de toutes façons à apporter des péripéties et des rebondissements à vos aventures.

La mise en pratique

Maintenant, comment généraliser ces idées pour les mettre en pratique dans d’autres jeux. Premièrement, il faut bien être conscient que ces techniques sont pensées surtout dans l’optique du bac à sable. Difficile de faire du “plot-driven” à la Cthulhu. De plus, telles qu’elles sont présentées, elles impliquent de jouer en méd-fan à la Donjon. Mais rien ne vous empêche de les convertir à d’autres genres (elles sont suffisamment génériques que pour être utilisables quasiment telles quelles avec d’autres systèmes de jeu).

Vous voulez faire du far west ? Pas de souci, il suffit de réécrire les différentes tables pour parler de saloons, de canyons et d’indiens plutôt que d’auberges, de montagnes et de gobelins. Vous voulez faire du cyberpunk2, et bien on va parler de vieux bars miteux dans la conurb, d’arcologie et de street gangs. Vous pouvez aussi également réécrire les cartes (patrouilles, exaltations et persécutions) afin de proposer des événements, des bonus et des problèmes qui colleront à votre setting. Cela va vous demander bien entendu pas mal de boulot pour adapter tous cela au genre qui vous intéresse, mais une fois ce travail effectué, vous pourrez définir votre Arkansas ou votre Seattle by Night en peu de temps et avoir des centaines d’heures de jeux.

Mais ça sert à quoi ?

Bon, c’est bien joli tout ça, mais que va-t-on faire avec tout ça ? Et bien ça sert à être feignant. En effet, toutes ces techniques vont aider le MJ a poser un cadre de jeu et à pouvoir broder et improviser les séances avec le moins de travail possible. La création de la carte au moyen des tables permet de définir facilement un environnement suffisamment grand et varié que pour avoir de quoi jouer pendant très longtemps. Et les cartes vont amener des idées, des scènes, des rebondissements qui alimentent le jeu et facilitent l’improvisation. De plus, une grande partie de ces idées viennent des joueurs eux-mêmes, donc moins de poids sur les épaules du MJ pour tout inventer et plus d’implication des joueurs. Au final, vous aurez moins de préparation et une simplification lors de la maitrise des parties. Que demander de plus ?


  1. Innovante, même si la filiation avec le MUSAR issu des Mille-Marches du même auteur est évidente. ↩︎

  2. A ce sujet, Le Grümph (l’auteur d’Oltréé!) travaille sur une adaptation cyberpunk nommée Panopticom↩︎